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La cour du tsar rouge !

Rédigée par Simon Sebag Montefiore (écrivain / historien britannique spécialisé dans l’histoire de la russie), la biographie du dictateur Staline, « La cour du tsar rouge », l’édition que j’ai bouquiné s’étale sur deux ouvrages « de poches » (qui n’en ont que le titre), séparant le « règne » de Staline en deux périodes, de 1929 à 1941, et de 1941 à 1953.

Les objets

Les deux livres, des éditions tempus, sont à la base un seul et même livre. Les couvertures sont des photos qui frappent bien l’imaginaire, je me suis surpris à lire derrière leur descriptions pour savoir qui était dessus (en dehors de Staline évidemment…). En revanche, choix catastrophique de la part de l’éditeur de l’avoir divisé en deux livres, même si elle se justifie parfaitement d’un point de vue narratif. En effet, dés les premières lectures, des pages se sont détachés du dos du livre… A contrario, le support « de poche » m’as tout de même permis de bouquiner dans le métro sans difficulté. Il aurait fallut peut-être divisé « La cour du tsar rouge » en quatre ouvrages ?

L’écriture

L’écriture est simple et accessible (il s’agit d’une traduction de l’anglais) et il ressort de cet énorme travail documentaire un luxe d’anecdotes et de détails dont on se délecte sans aucun doutes ! L’historien y a passé plus de deux ans, et a récolté par lui même de nombreux témoignages d’anciens de la cour. A la fin de l’ouvrage, on a l’impression d’avoir un peu côtoyé le Staline du pouvoir, et on se rend compte des nerfs d’acier qu’il fallait pour le faire ! On angoisse avec les gens qui l’entourent !


La première partie

Lorsque l’on commence l’ouvrage, on tombe sur une liste exhaustive de noms russe qui constitue l’entourage de Staline ; Cette liste est catégorisé par affinités et rôles. Au début, on à beaucoup de mal à l’appréhender, ne vous focalisez pas dessus, mais n’hésitez pas à y retourner ensuite régulièrement. N’étant pas habitué aux méthodologies d’historiens ou de gros lecteur, j’ai eu la maladresse de la lire d’entrée, ce qui m’as couté du temps pour pas grand chose, car les différents protagonistes sont ensuite décrits plus en profondeur à tour de rôles  lorsqu’ils entrent chronologiquement en scène. On accroche, car le prologue est la description précise de la soirée ou Nadia (Nadejda en russe), la seconde femme de Staline, se suicide. La description de la soirée, du drame et du contexte plonge immédiatement le lecteur dans une réalité palpable, et donc d’autant plus saisissante. C’est ce luxe de détails sur les événements de la vie de Staline qui font toute la puissance de cet ouvrage. Ensuite, bien que ça ne soit pas l’objet premier du livre, on évoque dans la première partie la jeunesse de Staline (en partant de sa naissance, 1878) au suicide de Nadia, sa seconde épouse. Certains témoins affirmeront que c’est cet événement tragique qui achèvera la transformation de Iossif (Joseph en Georgien) en Staline, c’est à dire en un implacable politicien froid, déterminé et inflexible, se laissant allez à toutes ses dérives sanguinaires et paranoïaques.

Iossif, Koba, Soso, Staline.

Je ne vais pas énumérer ici toutes les parties de ces deux bouquins. Simplement, comme on s’y attend dans une biographie, elles vont décrire, dans l’ordre chronologique, l’évolution de Staline, à peu prés du moment où il est au sommet de son pouvoir (1929, anniversaire de ses 50 ans), à la fin de sa vie (fin de la deuxième partie), sans pour autant omettre son enfance, puisque un tour d’horizon est effectué, comme on vient de le voir.

La cour du tsar rouge

Couverture du premier livre. Les parents de la fillette furent arrêtés et tués peu de temps après.

Des questions d’abord

Lorsque j’ai abordé ce bouquin, j’avais des questions simples (voir simplettes), à l’épreuve de cette biographie. Comment le socialisme, un idéalisme de bonheur collectif, sur le papier, peut en arriver à mettre en place un système qui va broyer des vies humaines, et qui, au final, ne respectera pas même l’idée d’égalité, avec un personnage dont le culte de la personnalité va culminer plus que jamais ? Où se met en place une cour digne des tsars où tous les abus seront commit au détriment d’idéaux qu’ils sont censés incarner ? Si ces questions ne sont pas propre au Stalinisme, on peut en dégager d’autres qui lui sont plus spécifiques ; Comment un Géorgien peut en arriver à s’enticher du peuple russe plus que du peuple dont il est lui-même issu ? Qui est donc ce héros de la seconde guerre mondiale qui est parvenu a bout du nazisme, sur le front de l’est, après avoir conclu un pacte d’alliance avec ces derniers ? Sans y répondre, car ça n’est pas non plus son but, ce travail donne de solides éléments de réponse.

Les réponses !

Ce qui suit va reprendre les éléments du livre, qu’on retrouve en général dans toutes les biographies, mâtiné de mon analyse personnelle ; Issu d’un milieu pauvre, surprotégé par sa mère (à la mort de laquelle il n’ira pas même à l’enterrement…), Iossif Djougatchvili s’engage tôt dans les mouvements révolutionnaire, pour ne plus jamais en sortir. Il subira à plusieurs reprises l’exil et l’emprisonnement, et mènera même une vie de bandit et de braquage pour enrichir la cause. Il se battra à Tsaritsyne (Ensuite renommé en Stalingrad puis enfin en Volgograd) contre les armées blanches, avec succès, ayant sous ses ordres deux militaires qui lui survivront, fait notable si l’on considère les purges du dictateur…
Avec ses quelques éléments, on peut déjà entrevoir le monstre qui se profile ; Dédain des élites, car lui-même issu du peuple et méfiance poussée a son comble, provoqué par des années de complot, de fuites, et de révolution. Ce point est d’ailleurs intéressant à souligner. Combien de dictateurs considérés comme « fous », « paranoïaques »,  sont issus de mouvements révolutionnaires ? Quelle situation n’est pas pire qu’un mouvement clandestin, pour l’esprit humain ? Stress permanent, traque, méfiance absolu envers tout le monde, y compris les membre de sa famille, volonté de survivre et de se battre, instinct de survie des plus élémentaire sollicité en permanence, promesse de lendemains idéaux, culte du secret… Évidemment, être engagé dans des « bonnes causes » n’engendre pas que des serial killers dieu merci, il faut avoir d’autre prédispositions. Staline les a. Comme par exemple, une frustration probable, une peur de l’échec constant. De petite taille, le visage grêlé par la petite vérole, Toute sa vie il sera hanté par la peur de l’échec de sa politique, de l’idéologie soviétique… Il doit être le chef, et ne supportera que de moins en moins la contradiction au fur et à mesure de sa vie qu’il éliminera ses gardes-fous. La traduction de ce complexe se ressentira par une net préférence pour des personnes issu, comme lui, de milieu modeste, ou, mieux, d’autodidactes opiniâtres et forcenés. Il érigera par lui même sa nouvelle bourgeoisie, sa nomenklatura, qui ne lui survivra d’ailleurs qu’en parti… Il tisse des liens forts (enfin, en apparence) avec des personnes qui ont des similitudes avec son passé, son vécu ou ce qu’il pense être ; Des exilés, des anciens séminaristes (il le fut lui même), des géorgiens, des révolutionnaires ou des écrivains (Staline n’hésites pas à réécrire des poèmes, des chansons ou des films selon ses propres envies… et gare si cela n’est pas respecté !)… Enfin, dernier atout pour la course au kremlin, cela peut surprendre, Staline sait très bien charmer son entourage. Après, au delà, Staline déploie un certain nombres de « talents » inhérents a tous politique que l’on peut considérer comme classique dans ce milieu : goût de l’intrigue, de la manipulation, absence de scrupules…

Une ascension qui se déroule en douceur

Si ce livre à bien un mérite, c’est bien de contextualiser l’ascension de Staline… parmi d’autres brutes du même acabit ! Staline ne paraît pas plus sanguinaire que d’autre, au moins au début, et il se garde bien d’écraser les autres compagnons bolcheviques, qui sont d’ailleurs pour la plupart des soutiens. Il joue de son charme au mieux pour les rallier tous. Habillement, il les divises et les travailles patiemment dans la durée, ne prenant jamais de décision seul, se garantissant toujours des alliés… Suite au suicide de Nadia, il est probable qu’il y perde une attache forte aux réalité humaines et sociales. Cette dernière, bien qu’hystérique, lui servait jusqu’alors de garde-fou et de lien avec une forme de réalité humaine et familiale. Certes, les déportations massives de paysans, puis l’holomodor a déjà été mise en place, et il en est bien le moteur principal, mais son instinct de destructeur n’as pas encore frappé son entourage proche. 2 ans plus tard, l’attentat du populaire Kirov (1934), dans des circonstances très louche, sert d’élément déclencheur à toutes sortes de pressions où il va allez de plus en plus loin… Pour le moment, il n’agit pas tout à fait seul et se garde bien de toujours tenir informé une ou deux grandes pontes à qui il fait confiance. C’est l’heure des grands procès de Moscou ! Il va tester sans cesse plus avant la fidélité de ses sbires, testant les réactions de ceux qui restent. C’est là qu’on rentre dans toute l’horreur de son jeu pervers de pouvoir et de contrôle. Des jeux habiles, ou il entachera ses camarades les uns après les autres, laissant le sang des autres sur leur propres mains. La propagande appuiera évidemment ce schéma, dénonçant toujours l’ennemi intérieur,  jamais Staline. En toile de fond, le drame de peuples entier, déportés et décimés, au nom de la réussite de l’idéologie.

Des traits de caractère qu’il fallait favoriser…

Cette idéologie, plus fantoche que concrète, hanta Staline. Ses convictions tinrent une place prégnante dans les premières parties de sa vie, et c’est avec opiniâtreté qu’il se battit pour la cause bolchevique. Bien qu’ayant usurpé la succession de Lénine, il en reprend néanmoins les principes et la continuité, mettant la cause socialiste au dessus de tout. Ceux qui ne respectent pas ce credo sont vu comme contre-révolutionnaire, et méritent par conséquent… la mort. Cette vision binaire et simpliste sera son crédo, mais on pourra arguer qu’il n’étais pas le seul à l’avoir. Malheureusement pour de nombreuses personnes, ses convictions évolueront au cours du temps, et de sa volonté de rester au pouvoir… Entrainant conséquemment dans leur sillages autant de morts qu’envisageable, dans des corps de métiers ou populations clairement innocentes. Là aussi le livre démontre que ce mécanisme n’émane pas, loin s’en faut, que du seul Staline. Sa clique recèle des fanatiques tout autant furieux que lui ; Le culte de la personnalité et le mot même « stalinisme » ne sera pas inventé par Staline lui même, mais probablement par l’un de ses fidèles lieutenant. Désireux de briller à ses yeux, simples ambitieux, idéologues ou juste prudents souhaitant sauver leur peaux, auront leur point de vue sur les actions à entreprendre, et essaieront de gagner ses faveurs. Celui-ci est d’ailleurs influençable, et sait être à l’écoute de qui sait lui parler. Et bien souvent, lorsque il hésite, son entourage politique sera là pour l’encourager et le soutenir. De nombreuses soirées et séances de cinéma les rassemblent, et son aussi un lieu d’exercice du pouvoir. Lors du choc de la seconde guerre mondiale, ce seront eux qui l’encourageront à rester au pouvoir, Staline doutant, est accablé.  La vie des potentats est ainsi rythmée par des paris hasardeux sur les futurs choix du chef. Lorsque Staline décrète qu’il faut déporter tel ou tel catégorie de la population, c’est bien ses subalternes qui vont exécuter le plus fidèlement possible ses ordres ! Par conviction de la justesse de leur cause, et par souhait de bien se faire voir, ils vont doubler voir tripler les quotas de déportation, ce qui donne un ordre d’idée des massacres qui vont être commis sans discernements… Cette volonté de plaire mêlée à la menace sourde de tomber en disgrâce, voici la féroce mécanique qui va s’alimenter d’elle-même, nourris par Staline et ses fidèles, avec, au fur et à mesure, de moins en moins de garde-fou et de relation de confiance. Ce qui donnera un dictateur de plus en plus… seul. Ce cercle vicieux est brillamment et longuement décrit dans le livre.


Amusante vidéo de propagande, avec un acteur en carton qui reprend les mimiques du « Camarade Staline », de la manière probablement la plus malsaine qui soit !! Staline par ailleurs n’aimais pas du tout les prestations en public

L’homme…

L’exercice de toute biographie digne de ce nom est de nous présenter non seulement le personnage mais aussi et surtout l’homme qu’il y a derrière, aussi peu sympathique soit-il. Là encore, un sans-faute. Ainsi on y découvre un Staline aimant ses enfants et petits-enfants, qui rend visite à sa mère, qui libére des amis du goulag, qui n’aime rien moins que pratiquer le jardinage, aime à chanter des cantiques, et aime beaucoup le cinéma. En soirée, Il ne danse pas beaucoup mais aime à voir les dignitaires le faire, et s’en amuse. Il aime rien de moins que relaté ses faîts d’anciens déportés, en Sibérie. Il apprécie beaucoup les datchas du sud de la Russie, et aime à se promener. On le voit aussi abattu et doutant (comme j’ai put le décrire par exemple lors de la seconde guerre mondiale), mais aussi cynique, aimant a rire de ses victimes, se délectant de leurs derniers moments. Cette paranoïa omniprésente aussi, qui va par exemple l’amener de manière grotesque a se soulager devant ses dignitaires, en visites au front, par peur d’embuscade dans les fourrés…
Cette lucidité aussi, à dédaigner ce culte de la personnalité, qu’il estime nécessaire, mais dont il se garde d’être dupe. Ses derniers jours, en 1953, son aura de psychopathe jouera en sa défaveur, puisque étant paralysé, agonisant, durant 2 jours, les potentats, n’oseront pas prendre une décision, craignant de manière instinctive un imaginaire rétablissement du « vojd ».

Conclusion

Un ouvrage certe dense, mais qui recèle un telle quantité de citations et de détails qu’on ne se lasse a aucun moment de le lire. Cette réalité fut bien pire que bien des fictions, c’est probablement ce qui glaçe le plus le sang. Sans dédouaner Staline de tous ses crimes, elle met en lumière les fanatiques de son entourage, complétement dépendant de ses souhaits et donc de moins en moins susceptible de le ramener à une réalité politique tangible et humaine. Bref, un cercle vicieux créé par ses soins, et dont probablement il n’avais pas conscience, et qui lui fit perdre la réalité des choses.



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